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El pase
El Pase: su presente y su porvenir

L’esprit de la passe au dela du principe de formation
François Leguil
 

Plenaria: El pase: su presente y su porvenir
IV Congreso e la AMP – Roma
15 de julio de 2006

Dans quinze mois, l’histoire de la passe aura quarante ans. C’est le chiffre solennel d’une fameuse tribulation voyageuse . La nôtre ne conduira pas vers une terre promise, et nul ne nous l’a annoncé. Nous n’avons pas traversé de désert, mais emprunté plutôt des chemins peuplés, suivi des itinéraires touffus.

Par le thème de son congrès, quinze mois avant octobre 2007, Rome pose une double question : pouvons-nous nous passer de la passe, et : savons-nous nous en servir ?

Nous pouvons nous passer de la passe. La plupart des sociétés psychanalytiques le font. Retrouverions-nous en cette conjoncture les impasses institutionnelles que Lacan diagnostique et moque dans l’Ecrit qu’il avoue être la préface de sa Proposition ? C’est peu vraisemblable car, si, allant du tragique au comique, l’histoire se répète, les portraits cruels que Lacan brosse dans sa Situation de la psychanalyse en 1956 participent déjà de la comédie.

Depuis un demi-siècle, l’altération des conceptions de l’autorité et l’émiettement de la somme des vertus que l’on prêtait à la variété des savoirs, ne pousseraient pas à camper de la même manière l’ingénuité truquée des Béatitudes et la présomption vaniteuse des Suffisances. Pourtant, avec le renfort des déesses Infatuation et Prudence, dont on connaît l’éternelle promptitude à s’accommoder des relâchements de l’ être, nous forgerions sans tarder une nouvelle façon d’incarner ce que Lacan a su caricaturer. Nous le voyons bien, lorsque nous constatons que nos procédures de recrutement des nouveaux membres sont déjà infiltrées par les tentations du « pèse - personne ».

Les deux foules freudiennes, l’église et l’armée, dont Lacan considère les perspectives à la fin de sa Proposition (A.E., 257), cernent et respectent cet au-delà du principe de formation que nous prétendons animer avec l’esprit de la passe – esprit de la passe que nous identifions avec ce qu’il est arrivé à Lacan d’appeler l’esprit de la psychanalyse (AE, 295). La cause que la fonction du sujet supposé savoir enveloppe dans l’église, celle qu’elle désigne dans l’armée, ne leur permet pas de confondre leurs affiliations avec le résultat de leurs pédagogies. L’église convoque la notion de vocation qui fournit à l’au-delà du principe de formation la pierre angulaire d’une vérité ; le militaire recourt à l’idée de l’épreuve du feu, ou à sa simulation, pour obtenir dans cet au-delà la garantie d’un réel.

Se passer de la passe nous placerait en retrait des réalités qu’assument les deux grandes foules freudiennes qui nous sont toujours des contre-modèles. Dans notre champ, la vérité et le réel, au-delà du principe de notre formation, nous les trouvons dans l’expérience de la passe qui cherche à vérifier l’hypothèse lacanienne de l’émergence du désir de l’analyste. Nous en espérons moins une administration décisive de la preuve, qu’un effet cumulatif propre à nous faire changer de paradigme.

Il reste que se passer de la passe est possible parce que c’est la passe qui est impossible. Il s’agit donc d’une affaire de volonté ; d’une volonté d’affronter un réel qui nous divisera toujours en dépit des vérités qui nous motivent.

Il faut cette volonté pour préserver un désir qui n’est pas le nôtre, puisqu’il a été celui de Lacan. Il nous interroge encore parce qu’il a été prolongé par le choix de Jacques -Alain Miller au début des années 80 et par le renouvellement de son choix au début des années 90. Prononcer ici des noms propres n’est pas dire, comme chez Thucydide dans sa « Guerre du Péloponnèse », que « les grandes choses ne se réalisent que sous l’effet d’un seul ». Un motif est plus structural ; il tient à la logique des groupes. Lacan lui-même l’évoque à propos de la passe en se référant à la théorie de l’utilité collective qui permet à un Joseph Kenneth Arrow de conjurer grâce à son théorème l’inconsistance des résultats majoritaires dus à l’effet Condorcet (AE, 295). Continuer d’interroger le désir de Lacan, que le choix de Miller a prolongé, interroge notre volonté de faire en sorte que la passe revienne à l’AMP.

Ceci conduit à la seconde question : savons-nous nous en servir alors qu’elle n’est pas écologique et ne satisfait à aucun des fantasmes contemporains du développement durable ? S’avise-t-on qu’en moins de trente cinq années, trois périodes inhomogènes se sont succédées , qui sont trois manières bien différentes d’inscrire la procédure dans notre communauté. Comme avec chaque outil, savoir se servir de passe implique la prise en compte de son usure régulière. J’ai eu, et j’ai toujours la fantaisie de croire que la passe est comme le chat d’une légende de la Cordillère des Andes : neuf vies lui sont allouées ; elle ne décline pas, elle meurt pour renaître à une nouvelle existence, dans une série discontinue qui lui offre la durée syncopée du siècle à venir.

Considérons le moment présent qui donne le sentiment que l’on assiste à la migration agalmatique des ambitions de la procédure vers le souci des nécessités de la psychanalyse appliquée. Ce sentiment reflète-t-il fidèlement les choses ? Dés 1966, Lacan avertit que le point est « de maintenir la psychanalyse dans le statut qui préserve sa relation à la science » (E., 231). Inféodée aux impératifs de l’espérance thérapeutique, la science aujourd’hui comprime la clinique pour n’en plus faire que la répercution des souhaits du maître qu’on organise la dépense de la furor sanandi. Contrairement à ce qu’imaginait celui qui racontait sa naissance, la clinique désormais n’est plus épistémophore ou épistémogène ; elle n’est plus l’accoucheuse d’une cohérence recherchée.

Notre chance et notre devoir proviennent de ce que cette clinique, classique ou « DSMisée », a toujours été façonnée par l’Autre et pour lui. Au milieu des années 70, Lacan en propose une autre en l’écrivant sur un petit papier qu’il glisse à Jacques Alain Miller : une clinique du sujet définie comme « le réel en tant qu’il est impossible à supporter » (Ornicar ? n°9, p. 11). L’impossible à supporter, on ne demande qu’à le faire cause du refoulement. La conséquence est une antinomie entre la clinique et le désir de savoir, entre le désir de l’analysant et celui de l’analyste. On sait que la résolution de cette antinomie par l’identification à l’analyste est une Aufhebung funeste qui ruine ce qu’elle couvre en nous courbant sous la férule de la norme.

En proposant de s’atteler sans contre-façon à l’étude de cette quasi-aporie, Lacan fait de la passe le lieu où se jouera un avenir de la clinique qui ne soit pas court-circuité par les modes thérapeutiques formées dans l’Autre ; un avenir d’une clinique qui demeure celle du sujet, qui serve de garantie, voire de modèle, en encourageant la clinique de la psychanalyse appliquée à ne pas trop céder, fut-ce par enthousiasme, aux pressions de l’époque.

Nous n’avons exploré qu’une part relativement réduite des potentialités institutionnelles de l’expérience proposée par Lacan. Avec « ses » A.E., celui-ci parlait de la « sélection d’un corps » (A.E. p. 294). Sans doute devrons-nous prêter une attention plus précise à ceci que la procédure en elle-même ne dispose pas d’un savoir pré-formé sur ce qu’est un A.E., et qu’il faut plutôt savoir quel type d’AE nous voulons pour disposer de l’expérience elle-même. Sur la nature de l’A.E. s’appliquera une fois de plus notre devoir d’inventivité. La nature étant ce que l’on en dit, notre marge de manœuvre reste large. « Sélection d’un corps », voulait Lacan ; pourquoi ne pas le rendre, ce corps, statutairement antinomique, en opposition dynamique constante avec le groupe des AME qui, si la passe ne revient pas dans nos Ecoles, formera la caste que Lacan souhaitait proscrire. Faire du corps des AE une compagnie du pire en somme, chargée de frapper du sceau de l’ironie tout ce qui, en chacun de nous, en pince pour la fiction des installations durables. « Nommez moi une science qui ne fut pas révolte », demandait Michelet dans La sorcière . Nous pourrions continuer, comme en écho : parlez-moi d’une passe qui n’est pas sédition !.

On lit dans Tocqueville, qu’en démocratie, chaque nouvelle génération compose un peuple nouveau. A ceux qui viendront, nous devons l’esprit de la passe, qui n’est pas irénique ; nous leur devons cet esprit pour qu’ils puissent le faire régner au delà de ce que sera le principe de leur formation ; nous leur devons les moyens de faire en sorte que, par la passe, la clinique demeure ce que Jacques - Alain Miller a pu appeler : « un site du réel » (Cours 18 nov. 98).