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El pase
El Pase: su presente y su porvenir

Histoires de sorties ou sortie d’histoire ?
P. La Sagna
 

Rome 2006

« Dans le mouvement de l’histoire, on rêve de sortie, de tourner la page, mais aucune page n’est jamais tournée ».

J. A. Miller, La Cause freudienne, n° 61 p 133.

Lacan a dit, ici même à Rome, que l’avenir de la psychanalyse dépend de l’avenir du réel. Le réel c’est ce qui ne marche pas. Cela ne marche pas aussi bien que cela au niveau de la passe. Ce n’est pas forcément mauvais signe. Une passe dont la consistance essentielle tiendrait à l’idée simple de sortir du symptôme par le fantasme traversé, une « passe de l’âge d’or », me paraît plus difficile à soutenir depuis quelques années. Nous voilà plutôt sur la voie de retour, qui était prévue au départ, soit du fantasme vers le symptôme !

1) Histoires d’AE
Pour constituer la série de AE nous nous servons en fait de l’histoire de leur analyse qui ne se résume pas seulement dans le fantasme. Cette série d’AE est faite « d’épars désassortis » selon le mot de Lacan en 1976. Etre « sorti » ne fait pas que l’on soit a-ssortis aux autres ou à la tradition, voire à une histoire type.

L’histoire est aussi une mise en série d’événements désassortis qui ne constituent pas nécessairement un sens. Une cure est une série d’événements de savoir et de corps pour un parlêtre. On « historise » pour ajouter de la consistance à la série, ce qui risque d’ajouter du sens.

Je n’ai pas oublié la série d’événements de discours qui ont constitué la trame de mon témoignage. Mais ce qui serrait tout l’ensemble, le faisait tenir comme histoire, semble moins consistant après plus de dix ans. Hystoriser c’est peut-être surtout nouer les choses autrement que par le sens, voire la mise en série.

La logique du nœud n’est pas identique à la mise en série et donc s’hystoriser s’oppose à s’autoriser. S’autoriser, même de soi-même implique sans doute un Auteur, un Autre, là où l’hystorisation part de la chute de l’Autre, voire de l’un en moins qui fonde une série.

La nature du fait clinique, du moment susceptible de servir de variable à la détermination de la passe est diverse : traversée du fantasme, chute de l’objet a, acte psychanalytique, événement de savoir ou de corps, identification au sinthome, nouage borroméen singulier, ratage fructueux. Certains peuvent s’inquiéter ici d’un manque d’unité. Cette série de termes est-elle convergente, ou est-elle, a contrario, disparate et devant, là aussi, être nouée ? Ces éléments sont, sans doute, épars. Le mot « épars » vient de séparer, qui vient lui-même du latin spargere, sparso en italien, soit répandre, semer.

2) L’avenir, le présent, le passé
Pour arriver à hystoriser mieux vaut sortir un peu du rêve ou du cauchemar de son histoire. Sortir de l’histoire, ce qui va plus loin que sortir du fantasme, veut dire que le passé, le présent, l’avenir n’ont plus la même valeur et le temps aussi sans doute. L’histoire c’est justement l’hypothèse d’un rapport entre le passé, le présent et l’avenir. C’est pour cela que l’histoire ne va pas sans un lien, celui, par exemple, de l’amour du nom du père et de la religion. D’où je crois le witz de Lacan d’écrire histoire avec un y pour créer ici un décalage. S’il faut penser à partir de l’épars, du dés-assorti, hystoire et fantasme s’opposent. Mais est-ce que le fantasme, d’où surgit le sens, n’est pas aussi un tore particulier, un lien donc ? Vous voyez qu’il ne faut rien confondre, que chacun des termes se distingue et qu’ils peuvent pourtant venir se nouer.

Passé, présent et avenir ont servi longtemps de catégories pour rendre compte du transfert. Peut-on remplacer le passé, le présent et l’avenir du transfert freudien, par le réel, l’imaginaire et le symbolique de Lacan ? « L’hystoire » deviendrait alors, non un rapport, mais un rond de ficelle particulier, celui du sinthome, par exemple, qui noue les catégories RSI.

Le transfert, au sens Lacanien, implique plutôt que l’acte qui décide de l’avenir est aussi celui qui constitue le passé, en même temps que la cause qui nous détermine. Notre histoire de la passe est donc suspendue à ce qui sera décidé pour son avenir. Jacques-Alain Miller nous a montré comment le dernier Lacan touchait à la passe. Il a montré que la psychanalyse hors sens est sans point de capiton, qu’elle rend inessentielle l’opposition de la psychanalyse pure et de la psychanalyse appliquée, que nous devons accepter, pour la passe, une certaine désorientation liée à la clinique borroméenne. Pour tout cela, il est essentiel de ne pas prendre la passe ou sa procédure comme une évaluation. Le principe même de l’évaluation est de ramener tout au même, à la même valeur, à la mesure, à l’étalon, à la substitution. De faire de l’a-ssorti !

3) La passe à plusieurs
Le sinthome est, au contraire, une contre-valeur, à faire valoir socialement avec la passe. Cette contre valeur ne vaut donc que par son usage, son utilité, ses effets de discours, ses éclairages de l’embrouille contemporaine, ses conséquences à plusieurs. S’identifier au sinthome c’est faire valoir cela dans la cité. Déjà en 1953, Lacan notait que le « mot de passe » ne sert pas à amalgamer le sujet à un groupe préexistant, mais que ce mot de passe est constitutif du groupe. Voire que le passant, comme le poête, est là pour « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». L’AE peut démontrer sa vertu à contrer le malaise par l’interprétation au-delà de son effet d’interprétant de l’expérience de l’Ecole. Il ne s’agit pas de faire de la passe l’objet d’un club fermé mais de rendre sensible le public à ses résultats. Tout ceci devrait infléchir peut-être le style des AE afin qu’ils s’adressent à un public plus large. La différence même entre le discours commun et le discours analytique tend en effet à s’effacer aujourd’hui, ce qui nous a été montré à Commandatuba. Et avec cette différence c’est l’opposition du dedans et du dehors de l’Ecole qui se déplace. Ceci suppose aussi que les AE parlent en langage ordinaire !

En1967 Lacan proposait qu’on entre dans son Ecole sur la base d’un projet de travail. Pourquoi ne pas poser à tous les candidats à la passe la question qui nous réunit aujourd’hui: « Comment voyez vous l’avenir ? ».

4) Un dispositif pour le cycle de fin
Lacan aux Journées de Deauville en 1978 notait que la passe butait sur la difficulté de savoir ce qui passait par la tête de quelqu’un pour s’autoriser, pour la première fois, analyste. Aujourd’hui on remarque souvent que celui qui s’autorise à faire la passe a mené déjà, comme analyste, des analysants au terme, au moins dans le domaine de la psychanalyse appliquée. Cela tend à rapprocher plus qu’à opposer l’AE et l’AME. Ne pourrait-on imaginer que l’on encourage les sujets qui débutent vraiment dans la carrière, dans la pratique analytique, aussi modeste soit-elle, ces sujets qui « font l’analyste », à se mettrent au travail avec quelques autres qui soient dans leur situation ? Pour se poser la question de ce qui leur passe alors par la tête et avec pour but de présenter, ou non, la passe. De même faut-il confondre la solitude du psychanalyste et celle de l’AE qui enseigne ? Ou faut-il au contraire affirmer que les AE nous enseignent à plusieurs, même au-delà des frontières des Ecoles ? Ce plusieurs doit-il rester, là encore, une simple mise en série des AE ou un nouage singulier à inventer entre eux ?

5) Le goût pas sans l’idéal
Ce qui se sème, se transmet dans la procédure est une « satisfaction », selon Lacan. Ce terme est emprunté sans doute à J.L. Austin qui opposait le terme de satisfaction à celui de vérité. La satisfaction suppose un usage, un goût, voire un art de vivre avec le langage. Il ne s’agit pas en effet de décrire le monde ou soi même, voire de le nommer, de le vérifier, mais de dire quelque chose dans le monde qui porte à conséquence en suscitant chez l’autre une satisfaction qui tranche sur nôtre plus-de-jouir plus commun. C’est-à-dire produire des choses inédites (things) avec des mots (words) et par là une satisfaction heureuse. Austin parle ici de créer une « félicité », mais dans la psychanalyse, cette « félicité » implique un ratage subtilement réussi. La perspective d’Austin tend à décloisonner logique, science, art, éthique et esthétique. La parole se détourne avec Austin de la vérité positiviste pour devenir heureuse ou malheureuse, plutôt que communicante ou vérifiable. La psychanalyse fait déjà vaciller toutes ces frontières épistémiques, en partant du sinthome qui s’oppose au plus de jouir.

La passe n’a pas besoin d’être dés-idéalisée car elle est en soi une dés-idéalisation. Mais elle est aussi un des noms d’une Ecole qui ne va pas sans un idéal, sans l’idée d’un « bien commun » qui est impliqué dans ce terme de satisfaction partagée. Un bien qui vienne contrer la valeur évaluable, échangeable et le plus-de-jouir. Il apparaît de plus en plus que l’ère de l’individu, issue des lumières, ne pourra continuer sans le maintien d’un « bien laïque », construit au-delà de toute communauté. Dans ces communautés la seule place pour le sujet est celle de la victime. La psychanalyse participe de la production d’un bien, d’une Chose, qui ne vient pas du commerce, ni de l’histoire ou de la tradition. Un bien qui n’est pas seulement clinique ou culturel mais politique.

 
 
Notas
1- Austin JL Quand dire, c’est faire Seuil Paris 1970.
2- Cavell S Un ton pour la philosophie Bayard 2003.
3- J. Lacan : Les noms-du-père, Seuil, Paris, 2004; Autres écrits, Seuil, Paris 2001; Conclusion des Journées de Deauville.
4- Lettres de l’EFP N° 23, p 180; Le Séminaire Livre XXIV Joyce le Sinthome, Seuil, Paris 2004.
5- JA. Miller : Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée, psychothérapie.
6- In La Cause freudienne N° 48; Pièces détachées.
7- In La Cause freudienne 60, 61, 63; Une fantaisie.
8- Mental N°15; Evaluation (avec JC Milner); L’instant-de-voir, Paris, 2004.